Création : Pour le mieux !

Pour le mieux !

8 mars 2011
            Mardi gras. Dernier jour avant le carême. Bientôt, les gens vont faire la file devant l’église pour pouvoir se confesser. Le plus vite ils seront débarrassés de leurs pêchés, mieux ils se porteront. Mais aujourd’hui est le jour pour développer un des pêchés capitaux, la gourmandise. Une chose à ajouter à ma liste de confessions. De toute façon, le curé va me faire chercher, comme toutes les années, pour que je partage mes moindres fautes. Aussi bien les faire volontairement.
            L’attrait pour la nourriture n’est pas la seule chose que je vais devoir me faire pardonner. Il y a quelques semaines, j’ai découvert un passage qui mène à l’extérieur des murs du village. J’ai hésité longtemps avant de faire ma première sortie nocturne, mais j’ai vraiment été charmé par cette nature qui entoure l’endroit où j’ai toujours vécu. Je n’y suis retournée que quelques fois depuis, mais je redoute le moment de la confesse où le curé se fera un malin plaisir de me sermonner lorsque je devrais lui avouer mes activités à l’extérieur après le coucher du soleil. Peu m’importe le nombre de « Je vous salue Marie » que je dois réciter pour ce manque à la règle, mon envie de liberté est trop forte pour que je n’y retourne pas.
            15 mars 2011
             Une semaine depuis le début du carême. Mes parents me harcèlent pour aller rapidement au confessionnal. Même si je sors de la maison pour me changer les idées et oublier, les affiches qui ornent les bords des routes me le rappellent sans cesse. C’est une mesure adoptée depuis longtemps pour limiter le nombre de brebis égarées. On y souligne les évènements importants, les heures de messes, que tous connaissent depuis des années, la progression du carême, le contenu du sermon de la semaine précédente, etc. On peut y lire les disponibilités du curé, qui doit faire des semaines de 60 heures avec son horaire rempli de rendez-vous, horaire qu’il affiche près de l’église pour que les gens planifient leur vie en fonction de leur temps alloué pour la rédemption de leurs pêchés. Pour ma part, je préfère attendre encore un peu. J’ai beau pratiquer mon jeûne assez sérieusement, il m’est arrivé de devoir reprendre un rendez-vous à deux jours de Pâques (une pâtisserie trop alléchante) pour être certaine de pouvoir communier. Je ne ferai pas deux fois la même erreur. Un seul rendez-vous, c’est déjà assez compliqué à arranger.
31 mars 2011
            J’ai décidé hier de faire une petite sortie à l’extérieur des murs du village. Habituellement, je reste dans les environs, une simple promenade en forêt. Je ne pensais pas me rendre aussi loin, mais quand j’ai aperçu une route asphaltée, ma curiosité a été piquée. Je ne croyais pas que d’autres villes étaient aussi près de la nôtre. Toutefois, à la seconde où j’ai mis le pied sur cette surface dure, je n’ai eu le temps que d’entrevoir un véhicule qui fonçait sur moi avec ses phares qui se rapprochait dangereusement. La douleur n’est pas arrivée avant mon réveil du lendemain. L’inconscience m’avait bien protégée de tous ces inconvénients.
            C’est dans une chambre aseptisée que j’ai ouvert les yeux. Ce simple mouvement de ma part à eu des répercussions sur tout ce qui m’entourait. Un inconnu s’est jeté sur moi pour s’assurer que j’allais bien, une infirmière l’a éloigné pour faire ses vérifications, m’assurant que le médecin était déjà en route pour venir me partager les résultats des radiographies. À son arrivée, son ton de voix était calme et rassurant, me disant que mes étourdissements disparaîtraient dans la demi-heure qui suivrait. Il m’a même assurée que je pourrais sortir dans la prochaine heure, mes ecchymoses et mes coupures étant superficielles. À la sortie du personnel de l’hôpital, le jeune homme, Éric m’a-t-il dit, s’est approché lentement. Il m’a raconté les évènements en ponctuant son récit d’excuses. Pour se faire pardonner, il m’a invitée à dîner. N’ayant pas mangé depuis le dimanche précédent, j’ai accepté, en me disant que le curé serait content d’avoir autre chose à me reprocher. De plus, la simple évocation de nourriture avait fait gargouiller mon ventre affamé, affirmant à Éric que sa demande était acceptée.
            Je suis donc montée dans son véhicule. Nous n’avons pas beaucoup parlé. Mon nez collé à la vitre, j’ai observé le paysage et les pancartes. Aucune mention de religion! On aurait dit que cette ville n’avait pas d’église. Pourtant, deux coins de rue plus loin, les imposantes portes étaient bien là, avec une minuscule affiche mentionnant l’heure des rassemblements. Mais la plupart des inscriptions faisaient références à des vêtements ou à de la nourriture, me semblait-t-il. Je me suis sentie libérée de la pression de ma religion. La croix qui pendait à mon cou était la seule chose qui me rattachait à Dieu à cet instant précis. J’ai cru sentir un brûlement sous le pendentif en bois, mais je me suis retenue à deux mains pour ne pas le retirer et le lancer pas la fenêtre. Éric a commencé une conversation pour dissiper le malaise et s’est mis à me parler de Pâques. « Et puis, es-tu prête pour Pâques ? As-tu acheté du chocolat pour tes frères et sœurs plus jeunes? » À la simple mention de cette gâterie si appétissante, mon ventre à derechef manifesté sa faim. « On arrive bientôt » m’a répondu le conducteur avec un léger sourire. Je ne comprenais pas le rapport avec le chocolat et Pâques, mais j’ai acquiescé poliment à sa question, bien que c’était faux. Il n’avait jamais été question de commercialiser Pâques. Voyant que le sujet ne menait pas loin, il a tout de même fait une autre tentative. « Vas-tu en profiter pour aller rendre visite à tes grands-parents ? » J’ai souri. Il a semblé encouragé par cette simple réaction, mais ma réponse l’a déconcerté. « Mes grands-parents vivent avec nous, je les côtoie donc à tous les jours. »
Nous étions arrivés au restaurant. Tout près de la porte, un homme mal habillé et sale semblait demander qu’on l’aide. Éric ne l’a même pas remarqué et m’a gentiment poussée vers l’intérieur, au grand regret de cet homme, à qui le regard s’était illuminé à mon approche.
            Le repas était excellent. Nous avons discuté un peu, mais Éric a passé la moitié du souper à parler dans son « IPhone » m’a-t-il dit, « un bijou de la technologie, neuf de la semaine passée ». Malgré tout, j’ai apprécié ma soirée.
Lorsqu’Éric m’a demandé si je voulais qu’il me raccompagne, j’ai préféré lui demander de me ramener au lieu de l’accident. Ma requête lui a paru saugrenue, mais il s’est tout de même mis en route. Avant que je sorte, il m’a donné son numéro de téléphone, « si jamais j’avais besoin de quoi que ce soit », ses yeux toujours chargés de remords. Il paraissait surpris que je n’aie pas de cellulaire, le sien faisait partie intégrante de sa vie, une merveille dont il ne pouvait plus se passer.
            Mes parents ne dormaient pas à mon arrivée. Le village en entier avait mis la main à la pâte pour me retrouver, sans succès. Je ne m’attendais pas à ce qu’ils soient contents de me voir. Soulagés pendant quelques secondes, certainement, mais la colère serait rapidement seule contre moi.
            Je reviens justement d’une rencontre d’au moins une heure avec le curé. J’ai eu droit à une séance de confession express pour m’assurer le pardon divin. Le nombre de « Je vous salue Marie » n’avait jamais été aussi élevé. Il faut dire que la fuite, la gourmandise durant le carême et la vaine tentative de mensonge à mon arrivée n’ont pas aidé mon cas.
16 avril 2011
            Je suis surveillée à chaque seconde. Tous les villageois se relaient pour s’assurer de ma bonne conduite. Mon écriture devient rare à cause de cette absence de temps seule. Depuis ma rencontre avec Éric, bien que percutante, je vois ma vie différemment. Je n’arrête pas de rêver aux possibilités que je pourrais avoir à vivre dans cette merveilleuse ville. La liberté que j’ai ressentie cette journée-là me hante et m’attire au plus haut point. À l’heure où il serait temps de manger, la radio est allumée comme toujours. On y entend des passages de la Bible et l’interprétation que le curé en fait. Voyant que tout le monde est captivé par cette émission, j’en profite pour me rendre à l’étage et me préparer un sac avec tous mes effets. Je vais sortir silencieusement par la fenêtre, jeter un dernier coup d’œil à ma chambre et à la lettre que je laisse à mes parents, puis m’enfuir.
            Je m’en vais. J’en ai assez. Je me libère de tout. J’ai tout de même gardé mon pendentif dans une petite poche de mon sac. Sait-on jamais… Mais je ne le porte plus. Cette preuve de ma docilité ne m’étouffe plus.
J’ai fait le même trajet que celui qui m’a menée à Éric, il y a plus de deux semaines. J’avais bien mémorisé le chemin pour me rendre à l’orée des bois. C’est donc en ville que je me suis retrouvée. Dès que j’ai aperçu une cabine téléphonique, j’ai appelé la seule personne que je connais dans ce nouveau monde. Il m’a répondu rapidement. Je lui ai demandé s’il pouvait bien me dépanner pour la nuit et venir me chercher au petit restaurant où il m’avait amenée la première fois. Il devrait arriver dans à peine 15 minutes.  
26 avril 2011
J’ai maintenant un appartement, un emploi et même un cellulaire. J’ai changé ma façon de m’habiller. J’ai fait couper mes cheveux. Il paraît que c’est meilleur pour obtenir un emploi. Mes longs cheveux bruns sont maintenant courts et blond. Avec l’aide d’Éric, j’ai rapidement compris comment m’intégrer dans la société. Je passe beaucoup plus de temps le matin à me préparer. Après ma douche, j’arrange mes cheveux, je me maquille et je passe à une séance d’essayage pour trouver le meilleur agencement de vêtements pour la journée.
La religion ne fait plus partie de ma vie. Je ne le regrette pas. Je ne pense pas que ce contrôle sur ma vie me manque. Mon adaptation dans ce nouvel univers se déroule bien. Je peux maintenant penser par moi-même, choisir mes vêtements, manger ce que je veux et quand je le veux. J’ai changé de vie pour le mieux…

Réflexion critique

Dans les lignes précédentes, j’ai voulu montrer la ressemblance du contrôle de la religion et de celui de la société de consommation. Cette création est une fiction qui illustre le contrôle que la religion aurait pu avoir sur la société dans le temps de Beaugrand. Le personnage principal se trouve dans une société fermée et adhère à la façon de vivre religieuse plus par habitude que par choix. La peur n’est pas le principal moteur de docilité, bien que ce soit un peu implicite. À la suite du passage de la religion à la consommation, la jeune femme ne se rend pas compte de ce nouveau contrôle sur sa vie. C’est par une analyse extérieure qu’on peut saisir la subtilité de son adhésion à une autre doctrine, pas nécessairement meilleure que la religion.
            Cette question repose entre les mains du lecteur qui a tout le loisir de regarder sa propre vie et de décider si oui ou non, il accepte ce contrôle et adhère à tout les yeux fermés, ou bien s’il se garde un regard critique sur les absurdités que les publicités nous font faire. Le lien avec mon sujet d’analyse se trouve dans le déclin de l’intérêt pour la religion qui se ressent dans les contes. L’imposition de ce milieu où la vie n’est régie que par un mouvement religieux et sa comparaison avec la « liberté » qui devrait être la société dépeinte comme la nôtre met en branle l’assurance de la vraie liberté. 
            Ce texte est écrit à la manière d’un journal. Les dates sont actuelles, l’action se déroule en 2011 et les références aux fêtes religieuses sont vérifiées et authentiques. Je crois être parvenue à faire le mélange fiction et réalité en faisant en sorte de ne pas trop brusquer le lecteur et éviter de le faire décrocher de l’histoire. Le style du journal a été pratique pour décrire l’environnement tout en évitant d’avoir à raconter la totalité des jours et des évènements. L’équilibre des parties du texte a été plus difficile étant donné que les moments à la ville devaient être assez longs pour qu’on comprenne la subtilité de ses réflexions sans qu’elles soient écrites noir sur blanc.
Mon inspiration de cette situation a été le volet création de Jasmin Noël, finissant du programme de Lettres 2010, avec son texte Inéphémère où il était question d’une société qui ne vieillissait pas et où une seule personne avait décidé de vieillir. Le fait qu’une seule personne se rende compte de la réalité m’a aidée à développer mon sujet. Bien entendu, en forgeant le modèle de mon texte, je me suis rendu compte que la mise en place d’une telle histoire prendrait trop de temps pour la restriction des quatre à cinq pages. C’est pourquoi j’ai opté pour une narration homodiégétique pour que le personnage est un passé et que tout n’ait pas à être expliqué en si peu de temps.
            Cette création est originale et actuelle puisque le contact fréquent des gens avec la publicité et les médias est une réalité de notre siècle. La réflexion qui découle de cette création amène le sujet du désintérêt de la religion dans notre société encore plus loin que l’analyse fait précédemment par l’exagération de l’écart entre les deux mondes illustrés. La confrontation de la vision religieuse du personnage principal avec le  monde de consommation d’Éric dans lequel nous nous trouvons crée un recul et une occasion de critiquer notre façon de vivre. On pourrait se demander si on ne verra pas bientôt apparaître dans nos contes québécois l’influence des vêtements de marques ou de slogans publicitaires connus. C’est déjà ce qui se produit avec Fred Pellerin. Les anachronismes qui fusent dans ses contes démontrent l’influence inévitable de cette nouvelle influence dans nos vies. Donc, ce n’est pas la forme ni le contenu des œuvres étudiées qui se répercute dans cette création, mais bien le résultat de l’analyse et une projection qui porte à réflexion.